Cet article a pour objet d'explorer, à partir d'un exemple paradigmatique (le rôle d'une association d'insertion en milieu rural isolé) les capacités mobilisatrices des acteurs de l'innovation sociale pour le développement des territoires. Il s'est agi aussi de formuler l'hypothèse de l'émergence discrète d'un nouveau style de développement pour la valorisation des ressources territoriales et, plus largement, de nouveaux territoires ruraux. L'analyse s'est appuyée sur une démarche qualitative engagée dans le cadre d'une recherche-action soutenue par le Conseil Régional d'Auvergne au titre d'un appel à projets en « recherche-action dans le champ de l'innovation sociale » lancé en 2012. Ce contexte favorisait une démarche résolument collaborative, la vocation opérationnelle étant libérée des contraintes temporelles de la politique locale. A l'issue de deux ans de travaux, les résultats (Fournier et al, 2014) montrent que le choix de la ressource spécifique qu'est ici la laine, comme vecteur d'une nouvelle dynamique, répond à la fois à de nouvelles relations et à des jeux d'acteurs renouvelés via des processus complexes de négociation/coordination, d'action collective et de mise en réseau. La redécouverte d'une ressource spécifique par une association d'insertion Cette recherche-action s'est inscrite dans le contexte d'un territoire de moyenne montagne, le Pays de Saugues, en Margeride, présentant des problématiques spécifiques (isolement géographique, déclin démographique, diversification économique insuffisante ...) qui ont conduit des acteurs locaux à se positionner dans une situation de demande d'innovation, tant économique que sociale et terrioriale. Ce pays de confins, qui ne fut jamais très peuplé, atteint aujourd'hui une très faible densité (11 h/km2) en raison du malthusianisme de l'agriculture et de la difficulté à créer des emplois dans les autres secteurs d'activité. L'agriculture reste donc le premier secteur économique en nombre d'actifs occupés. Cependant, l'élevage ovin qui a longtemps constitué le socle de la tradition agro-pastorale de la Margeride (Fel et Gachon, 1983), décline, même si les brebis restent présentes dans 30 % des exploitations, ce qui justifie la présence du quatrième marché aux ovins de France (environ 32000 animaux). Quoique essentielles, la recherche d'une meilleure valorisation des ressources et la définition de projets de développement se sont longtemps heurtées à des blocages sociaux et politiques. Parce que conditionnée par sa structure anthropologique, la « famille-souche » et son idéal local, l'ousta (Claverie et Lamaison, 1982) cette société d'interconnaissance est aussi une société de rivalités, ce qui a eu pour conséquence, ces dernières décennies, d'interdire tout projet d'intérêt collectif (Fournier, 2003). Or, émerge actuellement un ensemble d'innovations, autour de la valorisation de la laine, coordonné par une association d'insertion, les Ateliers de la Bruyère, dont l'objectif est de provoquer une nouvelle dynamique de développement. Le choix de s'appuyer sur la filière laine a répondu au constat de l'existence, à travers ce matériau, d'une ressource latente insuffisamment valorisée malgré la présence d'une filière agricole comptant encore plusieurs dizaines d'exploitations, de plusieurs entreprises artisanales, d'un patrimoine matériel et immatériel. L'élevage ovin a en effet profondément marqué l'économie, la société et la culture des hautes terres